"Nantes : peut-être avec Paris la seule ville de France où j'ai l'impression que peut m'arriver quelque chose qui en vaut la peine, où certains regards brûlent pour eux-mêmes de trop de feux (je l'ai constaté encore l'année dernière, le temps de traverser Nantes en automobile et de voir cette femme, une ouvrière, je crois, qu'accompagnait un homme, et qui a levé les yeux : j'aurais dû m'arrêter), où pour moi la cadence de la vie n'est pas la même qu'ailleurs, où un esprit d'aventure au-delà de toutes les aventures habite encore certains êtres, Nantes, d'où peuvent encore me venir des amis, Nantes où j'ai aimé un parc : le parc de Procé."
"Nadja"
André Breton
La place du Commerce, la place Royale, la place Graslin : au fond de cette place, le Grand Hôtel de France : le 6 janvier 1919, au deuxième étage, chambre 34, Jacques Vaché est retrouvé mort, sans doute par surdosage en opium.
"En littérature, je me suis successivement épris de Rimbaud, de Jarry, d'Apollinaire, de Nouveau, de Lautréamont, mais c'est à Jacques Vaché que je dois le plus. Le temps que j'ai passé avec lui à Nantes en 1916 m'apparaît presque enchanté."
"Jacques Vaché s'est suicidé à Nantes quelque temps après l'armistice. Sa mort eut ceci d'admirable qu'elle peut passer pour accidentelle. Il absorba, je crois, quarante grammes d'opium, bien que, comme on pense, il ne fut pas un fumeur inexpérimenté. En revanche, il est fort possible que ses malheureux compagnons ignoraient l'usage de la drogue et qu'il voulut en disparaissant commettre, à leurs dépens, une dernière fourberie drôle."
"La confession dédaigneuse" in "Les pas perdus"
André Breton
"Le passage Pommeraye manque pour moi du secret que confère à ses congénères leur attribut le plus séduisant : cette paupière soudain abaissée - que suggère leur demi-jour - sur des allées et venues que la lumière crue immédiatement dépoétiserait."
"Pourtant... pourtant ! - des balcons à vitrines, des cariatides et des torchères au buste votif du donateur Louis Pommeraye, réduit, sans doute par économie, à la manière d'une tête jivaro, et perché très haut comme un coucou de pendule au-dessus du dévalement des escaliers (avec quelque chose, dans la fixité de son regard juste-milieu sur son étagère, de la pose augurale du corbeau d'Edgar Poe il n'est pas d'image de la ville qui s'imprime dans la mémoire avec une netteté aussi photographique, aussi tranchante."
"La forme d'une ville"
Julien Gracq
L'Ile Feydeau au petit matin : une Vespa "fait sa fière", les cannettes tanguent.
"L'amour qu'on portait à cette ville n'avait pas de justification. Il tenait à son fleuve trop large, dont le cours, gonflé par la crue, glissait très vite, au point qu'on pouvait le regarder des heures en ayant l'impression de reculer ; il tenait à ses beaux quartiers, un rien collet monté, à ses immeubles gris et prudes dont les fenêtres étaient toujours soigneusement garnies de voilages et dans lesquels la vie se déroulait avec une extrême discrétion, dans son ordre, avec les enfans qui font leurs devoirs, les soirées entre amis, les dîners avec du poulet, les bruits d'aspirateurs, les larmes qu'on essuie en se regardant dans une glace parce qu'on vient d'apprendre quelque chose d'irrémédiable."
"La ville"
Dominique Barbéris
Un mascaron